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Malika Sorel : « Il faut refonder l'Observatoire de la laïcité »

Le contenu de mon entretien, ci-dessous, a été publié en janvier 2016 dans FigaroVox. Il n'a pas pris une ride. Et pour cause ! Contrairement à beaucoup qui ergotent et radotent dans les médias et participent le plus souvent à “embrouiller” les Français, je ne parle ni n'écris à la légère.

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FIGAROVOX/INTERVIEW - Manuel Valls a fustigé lundi soir l'appel que le président de l'Observatoire de la laïcité a lancé avec des proches des Frères Musulmans. Mais, pour Malika Sorel, ce n'est pas suffisant : Jean-Louis Bianco doit démissionner.

Par Alexandre Devecchio
Publié le 19 janvier 2016 à 18:50, mis à jour le 20 janvier 2016 à 10:55

Malika Sorel est un ancien membre du Haut Conseil à l'Intégration. Elle est l'auteur de l'essai Décomposition française, comment en est-on arrivé là ?

Invité des Amis du Crif, lundi soir, le premier ministre a fustigé la tribune que le président de l'Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, a signée le 15 novembre dernier. Intitulé «Nous sommes unis» et publié dans Libération, l'appel réunissait, comme l'a révélée Isabelle Kersimon, Samy Debah et Yasser Louati, directeur et porte-parole du très controversé Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), et Nabil Ennasri, proche du courant des sulfureux Frères musulmans. Que cela vous inspire-t-il ?

Un petit rappel s'impose pour vos lecteurs. C'est le 5 avril 2013 que le Président de la République François Hollande a nommé Jean-Louis Bianco à la tête de l'Observatoire de la laïcité. L'Observatoire a été placé sous la responsabilité du Premier ministre. À l'époque, c'était Jean-Marc Ayrault, mais ce dernier n'a pas été partie prenante du processus d'installation de l'Observatoire et de désignation de ses membres, puisque toute cette opération a été directement pilotée par l'Élysée. Très vite, cet observatoire a adopté des positions dont un certain nombre vont à l'encontre de la défense du principe de laïcité, ce qui est un comble puisqu'il a pour mission d'«assister le gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité en France.» Son positionnement n'a eu de cesse d'être dénoncé, y compris par des personnalités qui en sont membres et qui en observent donc le fonctionnement depuis l'intérieur. C'est le cas du député Jean Glavany, de la sénatrice Françoise Laborde et du président du Comité Laïcité République Patrick Kessel, qui avaient exposé au grand jour le fondement de leur désaccord avec les prises de position de cet observatoire. C'est ainsi que le 15 janvier 2015, ils publiaient un communiqué dans lequel ils exprimaient - à propos de l'Observatoire de la laïcité - que «sur le fond, au-delà de ces propositions pour l'essentiel angéliques et pusillanimes, cosmétiques dans le meilleur des cas, certaines sont clairement anti-laïques et évidemment inacceptables pour la République […]» Que le Premier ministre Manuel Valls prenne enfin aujourd'hui la mesure de ce qui se produit est une bonne chose, mais il y aura mis bien trop de temps à mon goût. J'attends à présent de voir s'il va trouver le courage de dépasser le stade des paroles pour prendre enfin les décisions qui s'imposent. Il suffit qu'une quelconque demande d'ordre religieux, ou perçue comme telle, pointe le bout de son nez, pour que le pouvoir politique fasse aussitôt le choix de bafouer la laïcité.

L'Observatoire de la laïcité a été installé en 2013 par François Hollande. Il remplace le Haut Conseil à l'Intégration (HCI) dissous en 2012 …

Avec le recul, il apparaît clairement que la création de cet observatoire avait pour objectif de faire disparaître la mission laïcité du Haut Conseil à l'Intégration, dont les rapports gênaient très fortement le pouvoir socialiste. Ce dernier avait d'ailleurs refusé de donner le feu vert à la publication à la Documentation française - ce qui est la coutume - de notre dernier rapport qui tirait la sonnette d'alarme sur les dysfonctionnements et problèmes observés dans l'enseignement supérieur, et décrivait ce qu'il fallait d'urgence mettre en œuvre pour tenter d'endiguer le phénomène. Quant au collège du HCI, il n'a pas été dissous en 2012, mais François Hollande a préféré le choix tactique de le laisser s'éteindre en ne renouvelant pas son décret qui arrivait à échéance en septembre 2013. Pour comprendre l'envers du décor, il faut se remémorer ici le rapport publié par le think-tank Terra Nova en prévision de la présidentielle de 2012 à propos de la «nouvelle identité sociologique de la gauche, la France de demain». Le mérite de ce rapport a été de rendre public ce qui est d'ordinaire tu, ou pire, travesti: «La population des Français issus de l'immigration est en expansion démographique et en mutation identitaire (...) ce sont entre 500 000 et 750 000 nouveaux électeurs, naturalisés français entre 2007 et 2012, qui pourront participer au prochain scrutin présidentiel […]. Au-delà des non-religieux, ce sont aussi tous les non-catholiques, notamment les individus d'“autres religions”, composés à 80 % de musulmans, qui sont plutôt enclins à voter à gauche.» Comme je le développe dans un chapitre de mon livre intitulé «une arithmétique implacable», le pouvoir de gauche, et pas seulement lui, pense qu'il faut nécessairement prendre la laïcité comme variable d'ajustement pour ne pas s'aliéner le vote d'une part non négligeable de l'immigration. Il suffit qu'une quelconque demande d'ordre religieux, ou perçue comme telle, pointe le bout de son nez, pour que le pouvoir politique fasse aussitôt le choix de bafouer la laïcité.

À l'époque, Jean-Louis Bianco avait déclaré que la France n'avait pas de problème avec sa laïcité …

Comme je l'avais alors dit dans vos colonnes, en effet la France - donc son peuple - n'a pas de problème avec la laïcité, qui est plébiscitée, mais c'est une partie conséquente de ses élites qui a de sérieux problèmes avec le respect de la laïcité. Il n'y a pas mieux que le réel - et il est désormais tragique - pour mettre en lumière, aux yeux de l'opinion publique, ceux qui ont vu juste, ceux qui se sont trompés et ceux qui ont sciemment refusé de regarder la réalité en face. Mais le plus grave problème n'est désormais même plus là. Il est dans le fait que ceux qui ont dit faux persistent à rester sur la même voie alors qu'ils devraient tout faire pour participer à protéger notre société. Cela passe par reconnaître les erreurs qui ont été commises et par un changement de trajectoire.

Manuel Valls: «L'Observatoire de la laïcité - qui est placé sous ma responsabilité - ne peut pas être quelque chose qui dénature la réalité de cette laïcité. Il doit être clair sur les appels que l'on signe: on ne peut pas signer des appels, y compris pour condamner le terrorisme, avec des organisations que je considère comme participant d'un climat (nauséabond), ça n'est pas possible». Dans ces conditions, le Premier ministre doit-il demander la démission de Bianco? Non seulement Manuel Valls doit imposer la démission de Jean-Louis Bianco et de son cabinet, mais il doit également renouveler l'Observatoire de la laïcité afin qu'il soit exclusivement composé de personnalités reconnues comme respectueuses de la laïcité républicaine.

Les paroles de Manuel Valls ne sont pas suffisantes. Des décisions s'imposent. S'il ne les prend pas, il accréditera lui-même la thèse selon laquelle ses prises de parole peuvent relever de pures opérations de communication. Comment dès lors le prendre au sérieux? Des enquêtes ont mis en évidence à quel point la parole politique s'était au fil du temps démonétisée. Ce discrédit fait peser de lourdes menaces sur notre démocratie. Non seulement Manuel Valls doit imposer la démission de Jean-Louis Bianco et de son cabinet, mais il doit également renouveler l'Observatoire de la laïcité afin qu'il soit exclusivement composé de personnalités reconnues comme respectueuses de la laïcité républicaine - donc non adjectivée, et sincèrement attachées au refus du relativisme culturel qui constitue le véritable cheval de Troie de la répudiation de la laïcité.

Dans votre question, il y a un autre volet extrêmement important qui concerne l'approche sur laquelle s'est fondé l'appel qui a été signé et que vise Manuel Valls. Cette approche a été recommandée par des intellectuels après l'attentat contre Charlie Hebdo et a aussitôt essaimé. En un mot, elle a consisté à dire à l'opinion publique que, nos adversaires visant notre désunion, il fallait éviter de tomber dans le piège qu'ils tendaient à nos sociétés, et pour cela, prôner systématiquement l'unité. Je récuse cette approche qui a eu pour conséquence de venir alourdir encore la chape de plomb qui pesait déjà fortement sur la liberté de pensée et de jugement. Tandis que les Français cherchaient à comprendre comment nous avions pu en arriver là, leurs élites, pour beaucoup, leur répondaient «unité nationale». Ceux qui respectent la France et sa république ne craignent pas l'exercice de l'esprit critique. Les citoyens ont l'obligation morale de ne pas se résoudre à l'union sans condition qui leur a été imposée.

De manière générale, ces dernières années, les gouvernements successifs se sont-ils montrés laxistes en matière de laïcité? Ont-ils privilégié sans le dire les accommodements raisonnables?

Ce que j'ai pu noter, c'est que sur ce sujet, au sein d'un même gouvernement, les membres peuvent fortement différer. Le clivage passe entre ceux qui sont fidèles à la France et au respect de ses principes républicains, et ceux qui n'éprouvent guère de scrupules à ne pas respecter eux-même la laïcité ou à la laisser bafouer. La situation dans laquelle nous nous trouvons est extrêmement préoccupante. Ce n'est pas faute d'avoir tenté d'alerter sur ce qu'il convenait de faire et ce qu'il ne fallait pas faire.

Pour commencer, il faudrait cesser de recourir au terme d'“accommodements raisonnables” qui a été emprunté aux Québécois, car au vu de leurs conséquences sur la concorde civile, nous devrions les qualifier d'“accommodements déraisonnables”. Le fait d'avoir cherché à s'arranger avec des principes qui ne faisaient que traduire, dans la vie quotidienne, l'identité du peuple français a été doublement néfaste. Néfaste pour le peuple français qui s'est senti, à juste titre, trahi dans ce qu'il a de plus précieux et intime - son identité. Néfaste pour les nouveaux entrants et pour la part de l'immigration qui rencontrait des difficultés à s'intégrer culturellement, car cela a envoyé le signal que, tôt ou tard, tout pouvait être accommodé. Dans ces conditions, il était prévisible que les difficultés d'intégration culturelle iraient croissant. Pourquoi s'astreindre en effet à des adaptations culturelles, parfois difficiles et douloureuses, si les politiques sont enclins à renoncer à faire respecter des dimensions importantes de la culture de la terre d'accueil ? Il existe une hiérarchie des responsabilités qu'il convient de ne pas perdre de vue. Il ne faut pas oublier non plus le rôle joué par les discours accusateurs envers la France, qui serait responsable de tous les malheurs. Semer les graines du ressentiment dans le cœur des enfants de l'immigration, chercher sans cesse à les dresser contre la France et les Français, se révèle sans surprise préjudiciable au maintien de la concorde civile. Aujourd'hui, plus que jamais, le devoir de vérité sur la réalité des défis et des enjeux communs s'impose.

Catégories : Identité, Insertion - intégration, Politique

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